L’accompagnement ?

Accompagnement à l’auto-production de nos lieux de vie.

Dans la société capitaliste industrielle post-subsistance dans laquelle nous vivons, le préfixe « auto » a gagné la bataille lexicale en imposant le mythe individualiste du « par soi-même », « pour soi », « à soi ». Que « l’auto »-construction puisse être à l’inverse collective, accompagnée, hospitalière, manuelle, politique, […] peut sembler dans un tel cadre une sorte de combinatoire étrange.

Geneviève Pruvost (Préface, Pour une architecture des communs)

Auto-production

Auto-produire, c’est avant tout, faire par soi-même, et le faire essentiellement pour soi, seul·e ou entouré·e. Ce « DIY » renvoie aux pratiques vernaculaires, définies comme telles par nos ancêtres les romains. Vernaculus, en latin, regroupait l’ensemble des biens domestiques fabriqués par les membres du foyer pour leur usages propres, à l’opposé de ce qui provenaient ou étaient destinés à l’échange.

Auto-construire, auto-rénover, auto-réhabiliter, autant de pratiques par lesquelles les maîtres d’ouvrage s’approprient, prennent en charge, conçoivent et réalisent, sans à priori de considérations mercantiles, tout ou partie de la création ou de l’aménagement de l’un de leurs lieux de vie: un logement, un atelier, un jardin, une école, salle des fêtes, ruelle, place publique…

Du locataire qui décide de repeindre son appartement au regroupement de copropriétaires voulant construire par eux mêmes un immeuble commun, en passant par une association d’usager•ères aménageant un espace publique, la volonté de s’investir dans l’élaboration ou l’amélioration de son logement ou d’un espace recouvre une diversité colossale.

Accompagnement

« Construire soi même, mais pas tout seul ».

Chercher un accompagnement renvoie au besoin d’être soutenu, depuis l’ébauche et le cadrage du projet jusqu’à sa réalisation finale, parfois plus ponctuellement, pour diminuer le risque de mal faire. 

L’accompagnement peut répondre à différents soucis: acquérir un savoir faire, être rassuré ou piloter sur ses choix techniques, avoir un regard extérieur qualifié, un contrôle rassurant. Ce peut être aussi mobiliser une compétence qui fait défaut: dresser un plan détaillé, une maquette 3D, un budget, un programme de travail, ou s’orienter dans les modes de financement du projet.

Dès lors sur qui s’appuyer ? 

Si on évacue les fournisseurs dont les recommandations sur les matériaux qu’ils livrent sont à écouter (tout comme il faut lire les fiches techniques des fabricants), et les conseils institutionnels toujours bon à prendre (CAUE, maisons de l’habitat, espace France Rénov…), on peut identifier trois pratiques contractuelles d’accompagnement:

  • accompagnement par une association,
  • accompagnement par un·e maître d’œuvre ou architecte,
  • accompagnement par un·e artisan·e.

Le maître d’œuvre, l’architecte et l’artisan sont contraints par le cadre légal et assurantiel de leur profession. Ils doivent l’adapter pour répondre au désirs de ces clients un peu particuliers qui entendent prendre leurs parts d’implication… et rester maître du jeu.

Les associations, plus libres et plus « innovantes », inventent de nouvelles pratiques plus englobantes, proposant des démarches d’accompagnement couvrant l’ensemble du projet mais répondant à des contextes bien ciblés: L’ARA (l’Auto-Rénovation Accompagnée des Compagnons Bâtisseurs) propose une approche de la rénovation collective dans un contexte social défavorisé. Diamétralement opposé et sans commune mesure en terme d’échelle, E-Coco développe en Corrèze une approche de l’accompagnement pour la construction de maison Bois-Terre-Paille de haute performance énergétique en milieu rural pour un public « débrouillard » et plutôt favorisé.

Potentiels

La demande d’accompagnement à l’auto-construction et à l’auto-rénovation explose. Elle émane de particuliers, de collectifs, et plus récemment de bailleurs sociaux et de collectivités. Plusieurs rapports d’études tant en France qu’en Belgique montrent depuis une dizaine d’années que les objectifs de rénovation énergétique, nécessaire pour contenir le réchauffement du climat, resteront hors de portée sans une large implication des propriétaires.

« Le Gouvernement juge pertinent de s’intéresser au phénomène d’auto-rénovation, et en particulier à celui de l’auto-rénovation accompagnée (ARA), correspondant aux rénovations réalisées par le propriétaire lui-même, accompagné et conseillé par un professionnel du bâtiment, souvent en lien avec une association spécialisée. Cette forme d’auto-rénovation pourrait permettre de lever un certain nombre de freins : contrôle de la qualité des travaux, sécurité des non-professionnels, intégration des artisans locaux, etc. Ce type de pratiques pourrait ainsi contribuer à la massification des travaux de rénovation et l’atteinte des objectifs nationaux ambitieux ».

(Assemblée Nationale, 3 octobre 2023, réponse du délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement – source)

Ces rapports insistent sur les objectifs politiques que l’auto-production et son accompagnement permettent d’atteindre : maintenir les habitant•es en difficulté économique et sociale dans leurs lieux ; adapter le logement au mode de vie ; prévenir ou corriger les risque sanitaires ; responsabiliser et autonomiser les occupant•es ; rétablir les liens sociaux, réduire les coûts d’entretiens, voir favoriser la mise en activité de populations défavorisées.

Si on en croit les chiffres d’affaire réalisés par les grandes surfaces de bricolage, le faire soi-même prend, et depuis longtemps, une place importante. Pour l’habitant s’impliquer dans l’exécution de son logement, amène à se l’approprier, à en comprendre le fonctionnement, à l’adapter à son mode de vie, à s’en sentir responsables, à pouvoir l’entretenir et le réparer facilement dans la durée. Les économies sont considérables tout au long de la vie du bâtiment ou de l’espace aménagé. L’autonomie vis à vis des professionnels du bâtiments et de ces réglementations est vécue comme un bol de liberté supplémentaire… Et ne cherchons pas à quantifier le plaisirs et la fierté d’avoir fabriqué son chez soi!

Freins

Pourtant les professionnel•les s’embarquent avec réticence dans l’aventure. La « culture » du monde de la construction bloque.

Le maître d’ouvrage est souvent ressenti par les concepteurs ou par les exécutants comme un élément perturbateur dont on cherche à limiter les interventions et qu’on relègue à la périphérie du projet. L’habitant•e est relégué•e au statut de pur consommateur•ice passif dépourvu•e de tout savoir-faire vernaculaire, voir du simple bon sens des gestes du quotidien. L’idéal reste le « clef en main », ne faire entrer l’habitant que lorsque tout est fini.

D’autre part le cadre administratif et assurantiel inadapté de ces professions impose des contraintes perçues comme dissuasives.

L’accompagnement mobilise des acteurs multitâches contraires à l’hyper spécialisation des métiers du bâtiment. Ainsi peu d’artisan•es envisagent cette réorientation de leur activités qui les amèneraient inévitablement hors de leur champ de compétence professionnelles et de leur cadre assurantiel. A l’inverse, de nombreux jeunes architectes, frais émoulu•es et plus ouvert•es, s’engouffrent dans l’ouverture.

Perspectives et débats

Soutenir l’auto-production n’entraine pas une improbable déprofessionalisation de l’acte de bâtir, mais amène à le repenser et à en imaginer un nouvel environnement. En particulier il pose le problème de la responsabilité en cas de pépin. En gros, le professionnel n’engage pas sa responsabilité s’il reste sur une « montée en compétence » du maître d’ouvrage, mais l’engage dés lors qu’il touche à l’ouvrage (même juste de quelques coups de crayons). Soutenir un auto-constructeur amène à passer perpétuellement de l’un à l’autre. Sans clarifier le partage de responsabilité, il ne peut y avoir d’assurance.

L’accompagnement pourrait être un nouveau métier avec son propre environnement, mais il peut aussi s’inscrire dans l’adaptation de pratiques de métiers existants. Face à l’immense diversité des situations, trop cadrer la ou les professions en limiterait leur pertinence.

Qui accompagner ?

Les quatre types d’auto-rénovateurs – Bruxelles Environnement – 2023

L’étude des pratiques actuelles d’accompagnement à l’auto-réhabilitation montre que les chantiers autonomes ou les chantiers hybrides (associant auto-constructeur•euses et professionnel•les) concernent à ce jour des ménages socialement bien intégrés et surtout « débrouillards », disposant d’un capital social et culturel important. Ils sont motivés par un désir d’autonomie, d’appropriation et de maîtrise technique et par des considérations environnementales. Ils sont une minorité et savent souvent obtenir de manière informelle l’accompagnement dont ils ont besoin.

Par contre, beaucoup plus nombreux sont ceux qui ont des ressources financières limitées, disposent de temps et de force de travail, mais ne s’engagent pas dans la réalisation de travaux: Manque de compétence technique, de capital social (timides et sans confiance), difficultés à dialoguer avec les professionnel•les. Ce public peut venir à l’auto-rénovation dans le cadre de grande opération collective de rénovation soutenu par une collectivité ou au bailleur social. Et c’est bien là que ce situe le gros des besoins en rénovation énergétique…

Comment soutenir l’accompagnement ?

Le système d’aide à la construction vise à une meilleure rétribution des professionnel•les du bâtiments sans trop gréver le portefeuille des particuliers. L’auto-production, par principe, limitant l’intervention professionnelle, sort du champs des aides de l’état.

On pourrait alors imaginer une aide à la mobilisation de l’accompagnement. Une aide octroyée sur résultat via un contrôle indépendant de la qualité des travaux, en laissant libre le foisonnement des pratiques d’accompagnement, est-elle envisageable?

Promouvoir l’accompagnement passera aussi par l’élaboration de référentiels techniques et la mise en place d’un cadre administratif et assurantiel adapté.